Seize heures et des poussières, elle se regarde dans la glace.
Réveillée depuis deux heures à peine, elle n’a pourtant pas pu s’ empêcher d’ effriter un peu du shit de Lisa, dans sa cigarette roulée du matin qui accompagne le café.
Elle se sent floue, étrange, comme si elle se voyait pour la première fois, vraiment, réellement, et en même temps avec un détachement inédit.
La personne qui lui fait face est plutôt petite, un mètre soixante environ, de corpulence normale, des bras et des chevilles fines, des fesses rondes et des seins « visibles », mais pas imposants, encore fermes…La peau est d’ une couleur un peu indéfinie, à la fois fine claire, et un peu ambrée, différente aussi selon les angles, la lumière.
Les yeux, en amandes, légèrement tirés sur les tempes, le front haut et bombé d’ une enfant têtue, le nez court et droit, les pommettes saillantes et la bouche petite, avec cette lèvre inférieure ourlée, boudeuse.
Les cils sont un peu trop raides et noirs, autant que les cheveux, fins, descendant jusqu’ aux omoplates.
Les yeux ne sont pas en reste, aussi sombres et obscurs que les oiseaux de mauvaise augure qui la hantent.
Dessous, des cernes, trop claires, lui donnent le regard d’un fantôme.
Elle est Nina, avec cet air à la fois doux et insolent.
Mais elle ne s’aime pas véritablement, car elle n’ a pas assez connu cet amour inconditionnel, immatériel, inexplicable qui lie en général les parents à leurs enfants.
ELLE est partie trop tôt .
Evanouie dans l’ air, du jour au lendemain, toute cassée à l’ intérieur elle aussi, un désastre, et inéluctablement, il a fallu marcher du même pas, comme si la vie avait encore un sens, répondre toujours gentiment aux adultes , qui ne savaient pas s’ y prendre, et puis courber l’ échine, pencher la tête, se résigner à la perte. Comme un bras qui vous est arraché et que vous croyez encore sentir, parfois, la douleur, croire que tout est comme avant, alors que l’ évidence vous saute aux yeux : vous êtes amputé.
Pour toujours.
Son paternel, lui, est parti plus tard, mais aussi irrémédiablement dans sa tête, tanguant jour et nuit comme un bateau sans cale, inexistant, fuyant, lâche jusqu’ à l’ écœurement, et perdu dans son esprit comme il était devenu perdu pour sa fille ...
à 23:08